Berne, le 1er juillet 2021

Consultation de l’ordonnance du Conseil fédéral relative au contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables

De nombreuses organisations prennent position sur l’ordonnance relative au contre-projet indirect à l’initiative pour des multinationales responsables. Elles critiquent d’une même voix l’inefficacité de la proposition du Conseil fédéral. Dans le projet d’ordonnance, alors que le contre-projet est déjà largement critiqué, son champ d’application devient si limité que cette loi minimaliste s’apparente désormais à une farce.

En 2019, le Conseil fédéral a usé d’une manœuvre inhabituelle : il a monté un contre-projet de dernière minute qu’il a proposé en plein milieu des débats parlementaires au sujet de l’initiative pour des multinationales responsables, alors que ceux-ci duraient déjà depuis deux ans. Son objectif était d’empêcher qu’un compromis suffisant pour les deux parties ne soit adopté au Parlement et de faire croire à la population que l’initiative n’était plus nécessaire au regard de son contre-projet. Chantal Peyer, membre du comité de la coalition pour des multinationales responsables fait cette critique au nom des organisations : « Le Conseil fédéral prévoit tellement d’exceptions et de conditions dérogatoires qu’il n’y aura pratiquement aucune entreprise qui ne devra remplir ses obligations de diligence raisonnable concernant le travail des enfants et les minerais de conflit. C’est un désaveu pour les citoyennes et citoyens, dont la majorité avait approuvé l’initiative pour des multinationales responsables. »

Minerais de conflit : les petits revendeurs douteux sont récompensés

Aux yeux des organisations signataires, les points suivants sont particulièrement problématiques :

  1. Dans le domaine des minerais de conflit, le projet d’ordonnance du Conseil fédéral prévoit des seuils jusqu’auxquels les entreprises sont exemptées du devoir de diligence qui sont beaucoup trop élevés. Ainsi, une partie importante des minerais de conflit importés en Suisse n’y sera pas soumise. Marc Ummel de Swissaid précise : « L’or provenant de zones de conflit et extrait dans des conditions douteuses est généralement importé en petites quantités en Suisse. Si le seuil n’est pas revu à la baisse, ces petits revendeurs pourront poursuivre impunément leur commerce. »
  2. De surcroît, bien qu’il n’existe pas de base juridique pour cela, les entreprises qui commercialisent des minerais recyclés sont a priori exemptées. « En ajoutant cette exception, le Conseil fédéral laisse libre cours à une pratique déjà courante qui consiste à importer de l’or recyclé pour en dissimuler l’origine douteuse», ajoute Ummel.
    Travail des enfants : une incitation à détourner le regard
    Dans le domaine concernant le travail des enfants, des entreprises encore plus nombreuses pourront échapper à toute responsabilité :
  3. Les PME sont complètement exclues du projet d’ordonnance du Conseil fédéral, même si elles sont actives dans un domaine à hauts risques. Malgré les promesses, il n’est plus question d’une approche qui soit basée sur ces risques – alors que c’était ce qui était prévu dans la loi.
  4. De plus, les grandes entreprises seront exemptées si la production finale de leurs produits a lieu dans un pays sans risques connus de travail des enfants. Si une entreprise suisse vend une chaussure « Made in Germany » (bien que ce ne soit que l’assemblage final qui ait lieu en Allemagne), elle ne doit remplir aucune obligation de diligence raisonnable. Pourtant, les composants de la chaussure pourraient bien avoir été produits avec le travail des enfants dans un pays tiers. Cela va complètement à l’encontre de l’esprit et de l’objectif de cette disposition.
  5. Si, malgré ces deux premières dispositions, une grande entreprise n’a pas pu s’affranchir de son devoir de diligence sur le travail des enfants, l’ordonnance prévoit une troisième possibilité : s’il n’y a pas de « soupçon fondé » en ce qui concerne le travail d’enfants en relation avec un produit ou un service en particulier, il n’y a pas non plus besoin d’accomplir son devoir de diligence raisonnable. C’est une incitation inopportune : les entreprises qui ferment les yeux sur l’éventuel travail des enfants dans leur chaîne d’approvisionnement sont encouragées à ne rien changer à leurs pratiques. Finalement, seules les entreprises qui travaillent déjà de manière responsable sont soumises au devoir de diligence – et il s’agit généralement de celles qui ont déjà mis en place des mesures volontaires pour lutter contre le travail des enfants.

La Suisse fait cavalier seul

Durant la campagne, les opposantes et opposants à l’initiative pour des multinationales responsables ne se lassaient pas d’affirmer que leur contre-projet serait plus adapté au contexte international que l’initiative. Pourtant, cette loi prise dans son ensemble présente d’énormes défauts, à commencer par le choix de la restreindre arbitrairement à quelques thématiques et par l’absence totale de contrôles et de sanctions. En comparaison internationale, cette loi est en retard sur son temps avant même d’entrer en vigueur. La résolution du Parlement européen, la loi allemande sur les chaînes d’approvisionnement, la Loi de Vigilance en France, la Transparency Law en Norvège et les projets de loi en Belgique et aux Pays-Bas vont tous beaucoup plus loin et prévoient des contrôles étatiques, la responsabilité civile en cas d’infraction voire même des sanctions au niveau pénal. Danièle Gosteli d’Amnesty International Suisse est formelle : « La Suisse est clairement à la traîne et son manque de réglementation va perpétuer l’impunité dont jouissent les multinationales qui abusent des droits humains ou violent l’environnement. »

Les organisations signataires demandent au Conseil fédéral d’améliorer cette ordonnance et, pour ce faire, lui ont soumis des propositions concrètes. Mais il est clair pour elles que même la meilleure des ordonnances à ce contre-projet alibi ne sera pas suffisante au regard de la situation internationale. C’est pourquoi l’association « initiative pour des multinationales responsables » continuera de s’engager en faveur d’une loi contraignante pour des multinationales enfin plus responsables.

La réponse de l’association « initiative pour des multinationales responsables » à la consultation de l’ordonnance du Conseil fédéral (en allemand)

Pour toute question:

  • Chantal Peyer, comité de la coalition pour des multinationales responsables : 079 759 39 30
  • Marc Ummel, Swissaid : 079 694 49 21
  • Danièle Gosteli Hauser, Amnesty International Suisse : 079 769 56 53
  • Gregor Geisser, Conseiller juridique de la coalition : 078 681 93 28

Les organisations suivantes soutiennent ce communiqué de presse :

Alliance Sud
Amnesty International
Arbeitsgruppe Schweiz-Kolumbien
Brücke – Le Pont
Fastenopfer
Gesellschaft für bedrohte Völker
Greenpeace
Public Eye
Swissaid
terre des hommes schweiz
Associazione consumatrici e consumatori della Svizzera italiana
Bruno Manser Fonds
Demokratische JuristInnen Schweiz
Evangelische Frauen Schweiz
Fédération romande des consommateurs
FIAN Schweiz
GSoA
Guatemalanetz Bern
Helvetas Swiss Intercooperation
Justitia et Pax
Pro Natura
Save the Children
Schweizerisch Katholischer Frauenbund
Schweizerischer Gewerkschaftsbund
Solidar Suisse
Travail.Suisse
Unité CH
Campax