Pablo Piovano est lauréat du Prix du public du Greenpeace Photo Award 2018. Son travail photographique témoigne des protestations des Mapuches de Patagonie (Argentine et Chili), qui luttent pour pouvoir rester sur leurs terres et mettre fin à la destruction de leur environnement. Son oeuvre Patagonia, Territory in Conflict a été exposée à la Gesellschaft für Humanistische Fotografie, à Berlin, en août 2019.
La région de Vaca Muerta («vache morte») est considérée comme l’un des plus grands gisements de schiste bitumineux au monde. Plusieurs multinationales y pratiquent la fracturation hydraulique, une technique aux effets désastreux sur la population et l’environnement. Paul Horsman, responsable de campagne à Greenpeace Argentine, répond à nos questions.

Paul Horsman, quelle est la situation actuelle en Patagonie?
La situation rappelle la ruée vers l’or dans le Far West: l’or noir attire de nombreux travailleurs migrants. La prostitution, la violence, la consommation de drogues et d’alcool augmentent, tandis que le logement, le système de santé et l’instruction publique sont dépassés par la croissance démographique. La fracturation hydraulique pratiquée par les compagnies pétrolières, notamment sur les terres des peuples autochtones, menace leur droit à la vie et à la culture, et détruit leur environnement. Actuellement, environ 1500 forages sont en exploitation en Patagonie. D’après les projets du gouvernement, ce nombre devrait passer à plus de 50 000.

Qui est responsable de la fracturation hydraulique sur place?
La taille du gisement attire toutes les multinationales pétrolières, notamment Shell, BP, ExxonMobil, Equinor (anciennement Statoil) et Total. Shell a récemment annoncé son intention de faire passer sa production pétrolière de 4500 à 70 000 barils par jour d’ici à 2025. Une telle expansion impliquerait la construction de 300 nouveaux puits de forage.
Quels sont les effets de l’extraction de matières premières sur l’environnement?
La fracturation hydraulique consiste à injecter un mélange toxique d’eau, de sable et de produits chimiques dans le sous-sol géologique pour fracturer la roche afin d’en extraire le pétrole et le gaz. Ce processus génère une énorme quantité de déchets hautement toxiques et d’eau polluée, qui correspond à 20 tonnes par forage et par jour. Les déchets toxiques sont déversés dans des installations défectueuses et parfois illégales, où ils finissent par contaminer les eaux souterraines. La technique de la fracturation hydraulique menace également la terre, l’air et par conséquent la santé de la population. Sans parler des catastrophes pétrolières comme les explosions, qui polluent l’environnement et tuent des personnes.

Que fait Greenpeace Argentine contre cette pollution?
Nous travaillons en étroite collaboration avec les Mapuches de la région et d’autres peuples autochtones. Nous portons actuellement plainte contre Shell afin de renforcer une action similaire déposée par les Mapuches. Nous avons également enquêté sur les dommages humains et environnementaux causés par les compagnies pétrolières, notamment sur l’élimination illégale de déchets toxiques par les entreprises.
Qu’espérez-vous obtenir par votre travail?
Nous voulons mettre fin à l’expansion de l’industrie pétrolière et gazière. Pour protéger les communautés locales et l’environnement, mais aussi le climat mondial. Si les gisements de matières premières de la Patagonie étaient entièrement exploités et consommés, cela produirait 50 gigatonnes d’émissions de CO2. Nous n’aurions alors plus aucune chance d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat, qui est de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C ou 2 °C.

À ton avis, combien de temps faudra-t-il à l’humanité pour renoncer aux énergies fossiles?
Le rapport actuel du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) déclare que la consommation mondiale de pétrole doit baisser de 37 % et celle de gaz naturel de 25 % d’ici à 2030 pour ne pas dépasser le seuil de réchauffement de 1,5 à 2 °C. Il ne recommande en aucun cas de poursuivre la production de combustibles fossiles comme à Vaca Muerta. Autrement dit: il nous reste cinq à dix ans pour changer de cap.
Que pouvons-nous faire en Suisse pour aider la Patagonie?
Veiller à ce que la place financière suisse arrête de promouvoir les combustibles fossiles, et donc de détruire la Patagonie et les moyens de subsistance de la population, comme le fait Credit Suisse avec ses investissements dans des entreprises exploitant des énergies fossiles.

Pourquoi veux-tu continuer la lutte contre la fracturation en Patagonie?
C’est tout simplement une nécessité. Ne serait-ce que pour dénoncer l’injustice faite aux populations autochtones, qui vivent dans cette région depuis des millénaires. Si l’industrie pétrolière et gazière recule globalement, ce processus n’est pas assez rapide pour sauver la planète et ses habitants.
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